Exclusif : Ministre de l’éducation nationale sous Bédié, ambassadeur de la Côte d’Ivoire en France lors de la crise post électorale, Pierre Aimé Kipré, depuis Paris :
“C’est la première interview que je donne depuis Mars 2011”
Pierre Kipré a été l’un des premiers symboles de la chute de l’ancien président Laurent Gbagbo. Il garde encore un souvenir malheureux de son éviction de la chancellerie ivoirienne à Paris. Exilé dans la capitale béninoise depuis 8 ans, le professeur titulaire d’histoire, et ex ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, vient de publier un ouvrage (’Le concept de souveraineté en Afrique’’ ) aux éditions L’harmattan. Pour la première fois après 8 ans de silence, il accepte de nous parler, et de parler de notre histoire.
Vous êtes professeur titulaire d’histoire, des Universités. Vous avez été également le dernier ambassadeur de Côte d’Ivoire en France sous la présidence de Laurent Gbagbo, présenté comme un souverainiste. Comment tout ceci vous a-t-il poussé à produire un essai sur la souveraineté en Afrique?
Cet ouvrage qui porte sur le concept de souveraineté en Afrique répond à plusieurs préoccupations. La première, c’est que nous avons beaucoup de situations frustrantes en Afrique qui traduisent justement la faiblesse de cette dimension essentielle des peuples et de l’État . La deuxième préoccupation, c’est qu’un certain nombre d’analystes considèrent qu’il y’a une sorte de montée du nationalisme et une revendication de souveraineté. Ils considèrent que ces revendications de souveraineté constituent une manière détournée de revenir à l’ethnie, au tribalisme. Certains ont même parlé d’ethno-nationalisme. La troisième préoccupation, c’est pour amener les Africains à bien réfléchir sur ce qu’est la souveraineté. Cette volonté de pouvoir décider par eux-mêmes, ce qui est bon pour eux. Or, si on ne sait pas ce qu’on met effectivement dans ce terme, on risque de se perdre en chemin. Pourtant aujourd’hui, la souveraineté telle que comprise par nos ancêtres avant les colonisations, n’a pas le même contenu que la souveraineté que, petit-à-petit, avec la colonisation, et la formation dispensée , des générations d’Africains ont reçue dans les écoles occidentales. Il s’est créé en Afrique, une définition et une perception de la souveraineté que j’appelle afroeuropéenne. Elle s’appuie sur des référents occidentaux. Mais depuis les années 90, tout en notant que ça apparaissait bien auparavant avec certains de nos aînés, on s’est aperçu que les Africains se sont mis à redéfinir l’Afrique elle-même. Non plus par rapport à des références occidentales, mais aussi et surtout par rapport à leurs propres visions de l’Afrique. Ce sont toutes ces préoccupations que j’avais à l’esprit, et qui m’ont conduit il y’a deux ans et demi à produire cet ouvrage. Deux ans et demi de documentation, de lecture, et de réflexion. Bien entendu, les lecteurs s’en apercevront, il y’a la réflexion de l’historien. Il y’a aussi la réflexion géopolitique que j’essaie de mettre en avant. Il y’a aussi la réflexion sur les idées; celles émises dans nos cultures africaines, et celles émises par les grands auteurs de la pensée occidentale depuis Jean Baudin qui a avancé la notion de souveraineté jusqu’à des philosophes comme Michel Foucault.
Ramenons la question de la souveraineté à la Côte d’Ivoire. Comment pensez-vous que des Ivoiriens et Laurent Gbagbo ont compris cette notion ?
L’approche et la perception du président Laurent Gbagbo diffèrent de ce qu’en pensait le président Félix HouphouëtBoigny, premier Chef de l’ État de Côte d’Ivoire. HouphouëtBoigny est d’ailleurs celui qui a obtenu l’indépendance de notre pays. Dans l’opinion publique ivoirienne, nous avons deux courants. Le premier, celui qui s’attache à la philosophie politique du président Félix Houphouët-Boigny. Ce courant considère que nous avons certes l’indépendance, mais que la souveraineté s’acquiert progressivement, avec le temps, par le travail et le renforcement de l’État Et aussi et surtout par la position de l’État de Côte d’Ivoire dans les relations internationales. Chez Laurent Gbagbo, il y’a une autre approche. Celle-ci part du fait que l’indépendance que nous avons obtenue en 1960 est marquée du sceau d’une insuffisance. Et même de plusieurs insuffisances liées à la nature, autant que le contenu, des accords de coopération. Pour lui, c’est donc une indépendance pipée. La souveraineté affichée de l’État de Côte d’Ivoire est une fausse souveraineté. La deuxième chose, et on ne s’en aperçoit pas suffisamment, c’est que la Côte d’Ivoire doit pouvoir décider par elle-même ce qui est bon pour elle, et doit pouvoir s’appuyer sur une culture et des pratiques démocratiques. Outre la notion de souveraineté extérieure, Laurent Gbagbo introduit donc la notion de souveraineté intérieure qui est celle du peuple à travers la notion de démocratie. Il y’a donc ceux qui restent dans la logique du président Félix Houphouët-Boigny, et ceux qui s’inscrivent dans la logique de Laurent Gbagbo. Tout en notant que beaucoup de ceux qui s’inscrivent dans la logique de Laurent Gbagbo ne s’attachent que très souvent à la souveraineté extérieure. Pour Laurent Gbagbo, la souveraineté extérieure est le prolongement du discours et des pratiques développés par Kwamé Nkrumah, Amilcar Cabral, ou même Nasser, Sékou Touré et Sankara. Le discours de ces personnalités, et celui de Laurent Gbagbo dérangent intellectuellement, et surtout politiquement. Car la question de la souveraineté extérieure pose la question de la maîtrise de votre avenir. Maîtrise politique, maîtrise économique et maîtrise culturelle. Et je pense que – je peux me tromper – du point de vue idéologique, c’est l’une des raisons profondes qui ont suscité les hostilités en son encontre lors de son élection à la présidence de la République de Côte d’Ivoire en octobre 2000. Très rapidement, beaucoup de personnes à l’extérieur se sont aperçues que ce monsieur pouvait être gênant, et est devenu dangereux pour les systèmes qui avaient été mis en place depuis 1960. Mais comprenons-nous bien, et j’espère que les Français le comprendront aussi. Il ne s’agit pas seulement de la France, mais de toutes les grandes puissances comme les ÉtatsUnis qui ont souvent soustraité leur autorité aux anciennes puissances coloniales.
Parlant de l’approche de la souveraineté de Laurent Gbagbo, certains observateurs l’ont assimilé à de ‘’l’ivoiritarisme’’…
Je vous arrête tout de suite, c’est faux, archifaux ! Laurent Gbagbo n’est pas un ivoiritaire.
C’est quoi la différence en Côte d’Ivoire entre un souverainiste et un ivoiritaire ?
Tout le monde connaît celui qui a promu le concept d’ivoirité, c’est le Président Henri Konan Bédié. À côté du Président Bédié, il y’a eu un certain nombre de personnes qui ont dérivé sa compréhension initiale de l’ivoirité. Pour lui, l’ivoirité consistait à dire toutes les valeurs dans lesquelles se reconnaissaient tout ceux qui vivaient en Côte d’Ivoire. Et d’autres sont allés jusqu’à dire que tu es ivoirien – comme je le disais autrefois – quand tu l’es de façon multiséculaire, point et on s’arrête là ! Laurent Gbagbo, comme beaucoup, et je suis de ceux-là, considère que la Côte d’Ivoire appartient aux Ivoiriens. L’Afrique appartient aux Africains. Et ce nationalisme n’est pas fondé sur des référents ethniques, mais sur des référents nationaux qui sont fondamentalement ceux du citoyen ivoirien. Comme je l’avais dit en 1967 au président Félix HouphouëtBoigny qui reprochait aux étudiants ivoiriens de ne pas vouloir militer au sein du parti unique : le PDCI était organisé sur la base des groupements ethniques. Mon père est Bété et ma mère est Yacouba, dans quel groupement allais-je pouvoir militer ? Et cela l’avait gêné. Quelques années plus tard, ils ont changé les choses. Par contre la démarche de Laurent Gbagbo met en avant, et s’arrête essentiellement au citoyen ivoirien. Il appartient au citoyen ivoirien de faire fonctionner son pays, de faire avancer son pays, de promouvoir son pays, et d’insérer son pays dans un ensemble qui est l’Afrique.
C’est justement cette question de la citoyenneté ivoirienne qui a constitué un problème dans la vie publique et politique ivoirienne !?
La question de la citoyenneté ivoirienne est une question normale en mon sens. La première préoccupation est la réglementation, notamment de décembre 1961, lorsque la loi sur la citoyenneté a été votée , jusqu’à 1972 quand elle a été amendée. C’est parti d’un constat. À la fin de l’ère colonial, il y’avait en Côte d’Ivoire des personnes venues des colonies de la Haute-Volta, du Soudan, du Sénégal et bien d’autres, puisque notre pays était le plus riche de l’AOF (Afrique occidentale française :NDLR).
Donc à l’indépendance, beaucoup sont restées. Et il leur était demandé de faire simplement la demande pour intégrer la communauté nationale ivoirienne, et cela leur était accordé aussi simplement. Mais beaucoup ne l’ont pas fait. Dix ans plus tard, sous des pressions diverses, la loi a changé. On dit qu’il faut désormais faire un dossier de naturalisation, et la Côte d’Ivoire ne reconnaît pas la double nationalité. Mais pour que fonctionne à satisfaction le système de parti unique et le système politique qui découle du parti unique, le président Félix HouphouëtBoigny a décidé de laisser voter tous ceux qui sont sur le territoire ivoirien…
Sans qu’ils ne soient tous citoyens ivoiriens ?
Sans avoir de carte d’identité ivoirienne, on a vu en Côte d’Ivoire, des non-nationaux devenir directeurs centraux de l’administration, ministres, et sans que cela ne gêne personne. Sydia Touré a fait toute sa carrière en Côte d’Ivoire, nous sommes de la même promotion à l’université d’Abidjan. Mais là où les choses ont commencé à se compliquer, c’est lorsque s’est posée la question de la succession d’Houphouët-Boigny, et celle du primat que pouvait continuer d’avoir le PDCI. À partir de ce moment-là, d’autres choses sont entrées en ligne de compte. Et le deuxième élément est la crise économique et sociale qui frappe le pays à partir de 1980. Et comme cela se voit dans tous les pays du monde, lorsqu’il y’a crise, les nationaux se disent que se sont les étrangers qui prennent leurs boulots. Comme depuis 1955, la Côte d’Ivoire était le territoire qui avait la proportion la plus élevée de non-ivoiriens d’origine, quand le problème s’est posé, ce n’était plus un problème ivoirien mais un problème de la sous-région. Résultat, succession chaotique du président Houphouët-Boigny suite à la guerre des héritiers Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara. Je précise que Laurent Gbagbo ne fait pas partie des héritiers d’Houphouët. Et beaucoup de choses sont venues aggraver la question de la nationalité ivoirienne…
Notamment celle du président Alassane Ouattara !?
Notamment celle du président Alassane Ouattara qui a été longtemps accusé d’être un étranger. Un de vos confrères m’avait interrogé une fois sur la question de la citoyenneté du président Alassane Ouattara. J’ai répondu que le président Ouattara était plus âgé que moi, c’est lui qui peut savoir quand est-ce que je suis né. Moi je ne peux pas savoir quand est ce que lui est né.
Mais vous êtes bien un historien et pouvez faire des recherches dans ce sens….
Je suis bien un historien mais je n’ai pas travaillé sur ce sujet. Il faut qu’on demande cela à d’autres de mes collègues.
Vous n’êtes vous-mêmes pas du tout intéressé par cette question ?
Cela ne m’intéresse pas parce qu’on peut voir un Ivoirien avoir la nationalité lettone, française ou américaine. Ce n’est pas ça qui est le plus important.
Revenons à l’épisode de la crise postélectorale ivoirienne qui vous a vu quitter la chancellerie ivoirienne à Paris de façon violente et brutale. Après neuf ans, quel regard portezvous sur cette page de l’histoire de la Côte d’Ivoire ?
J’ai vraiment été malheureux à titre personnel, et surtout en tant que citoyen ivoirien. J’ai été malheureux de voir mes concitoyens qui vivent dans un État de droit, un pays démocratique, être complètement déchaînés, et agir comme des forcenés, oubliant ainsi que l’État fonctionne sur la base de la Constitution, sur la base d’institutions, sur la base de lois. Il existe une loi électorale qui indiquait clairement que c’est le Conseil constitutionnel qui donne les résultats définitifs suite aux résultats provisoires donnés par la commission électorale indépendante. Cela a marché au premier tour de l’élection. Au second tour, la soi-disant communauté internationale dit qu’elle s’en tient aux résultats donnés par la Commission électorale indépendante, et des Ivoiriens se sont engouffrés dans cette voix strictement partisane aussi bien sur la place de Paris qu’en Côte d’Ivoire. Moi je respecte les institutions de mon pays, et le Conseil constitutionnel avait déclaré en son temps Laurent Gbagbo président élu de la Côte d’Ivoire à l’issue du scrutin du 28 novembre 2010. Et ce même Conseil constitutionnel, en dépit de ses propres textes est venu se dédire. J’ai été vraiment malheureux qu’on puisse arriver à traiter nos lois et nos institutions de la sorte. J’ai eu le triste sentiment, comme on le dit vulgairement, que les lois, c’est pour les blancs. Et en tant qu’ambassadeur, j’ai été choqué que ce pays, la France, qui est l’un des principaux initiateurs du droit international n’ait pas appliqué ce droit-là au statut de l’ambassadeur que je suis, et aux usages diplomatiques. Mêmes lorsque deux États se déclarent la guerre, on laisse les ambassadeurs rentrer tranquillement chez eux. Ce n’était pas la bonne méthode, mais je les avais compris puisque la France elle-même avait contribué à ce désordre que nous Ivoiriens avions permis. J’ai pris acte. On m’avait donné 72 heures pour partir, au bout de 48, j’étais parti.
Qui vous avait donné cet ultimatum de 72 heures ?
Laissons cela, c’est du passé.
N’aviez-vous pas compris ce qui se disait dans les chancelleries occidentales pour que vous ayez été surpris par ce qui est arrivé ?
Oooh que si ! J’avais très bien vu les choses venir depuis octobre 2010. Mais vous savez, les usages diplomatiques ont leurs règles et sont ce qu’ils sont. Malgré les efforts que le président Laurent Gbagbo avait faits ; en tout cas, à travers les instructions qu’il me donnait d’améliorer le plus possible nos relations avec la France. Mais cela était considéré comme de la roublardise. Pour connaître monsieur Gbagbo depuis notre adolescence, je peux affirmer que c’est un francophile tout comme moi. Si Dieu m’en donne la force, plus tard, je donnerai ma part de vérité sur mes trois années au sein de l’ambassade de Côte d’Ivoire à Paris. Pour l’instant, je ne peux pas aller plus loin.
Mais sur les derniers jours à l’ambassade… Vous aviez vu venir les choses, qu’avez-vous fait ?
J’ai prévenu le président Gbagbo . Il le savait d’ailleurs lui-même, et il était d’accord avec mon analyse.
Il savait quoi ?
Il savait que ça risquait de sentir mauvais, mais il se disait, et moi aussi avec lui, que la France restait une amie de la Côte d’Ivoire et qu’elle n’allait pas prendre fait et cause pour un camp. Aujourd’hui, c’est fait, et on ne refait pas l’histoire.
Et comment vous êtes-vous retrouvé exilé au Bénin ?
J’ai quitté Abidjan le 31 mars 2011 pour rejoindre un pays africain où un ami commun de Laurent Gbagbo et moi, mariait son fils. En escale à Cotonou, l’avion connaît une avarie et je me retrouve bloqué au Bénin. C’est là-bas que j’apprends que la bataille d’Abidjan a lieu. Mais c’est quand j’apprends que la résidence du président a été bombardée, et qu’il a été arrêté que j’ai décidé de ne plus rentrer en Côte d’Ivoire. Je ne reconnaissais plus mon pays. Je ne reconnaissais plus ce pays qui avait été pendant longtemps un pays du consensus. Un pays dans lequel, pendant huit ans, le président Laurent Gbagbo a cherché à dialoguer et trouver un terrain d’entente avec même les rebelles. Il a même fait voter une loi d’amnistie. Après l’accord politique de Ouagadougou, il a demandé au chef de la rébellion d’être son Premier ministre. Bref, ce pays avait, tout au long de son histoire, su trouver des parcelles de dialogue et des consensus… En plus, l’intervention militaire extérieure grandeur nature a achevé de me faire comprendre que mon pays n’était pas souverain, même si je savais déjà. J’avais encore une autre preuve que ce pays n’était pas souverain. J’ai une perception moins brutale et moins violente de la vie politique. J’ai un fort attachement à l’idéal démocratique et à la justice sociale. Et j’ai une mystique de l’État de droit. Tout cela vu de loin, vu du Bénin où j’étais, semblait s’écrouler.. On ne m’a pas entendu, c’est la première interview que je donne depuis bientôt neuf ans. J’ai donc décidé de m’éloigner de la vie politique et de me consacrer aux exercices de réflexion et d’écriture.
Et si je vous demandais votre avis sur l’action du Président Alassane Ouattara à la tête de l’État de Côte d’Ivoire ?
Il y’a à boire et à manger. Je n’ai pas été à Abidjan, mais il m’est donné de voir des routes, des ponts, de nouvelles cités via internet et la télé. Il m’est donné également d’entendre des revendications sociales. J’entends aussi les débats autour de la reforme de la C.E.I. qui est le point de départ de beaucoup de dégâts pour ne pas dire plus. Mais je veux être optimiste. En août 2018, son discours à la nation a constitué pour beaucoup, une amorce de la réconciliation nationale ivoirienne, avec cette ordonnance d’amnistie qui est devenue une loi par la suite. Je me dis alors il y’a un espoir. Mais en sa qualité de chef de l’État de tous les Ivoiriens, en tant que Président de la République de Côte d’Ivoire, c’est lui qui doit prendre toutes les initiatives pour réconcilier les Ivoiriens.
Pourtant lui déclare qu’il tend la main de la réconciliation !?
Pour ce que j’entends les Ivoiriens ou les observateurs étrangers dire, c’est que les actions qu’il mène n’ont pas l’efficacité qu’il souhaiterait. Moi je suis de ceux qui encourageraient le président à prendre des initiatives plus positives.
Et si le Président Alassane Ouattara prenait cette initiative de rendre visite à Laurent Gbagbo qui est désormais acquitté ?
Nooon, un Président de la République ne fait pas ça. Respectons quand même nos institutions. Un Président ne rend pas visite à une personne qui a été faite prisonnière de son fait. Et en plus, l’affaire n’est pas terminée. Mais il y’a d’autres initiatives positives qu’il peut prendre. Par exemple, la reforme consensuelle de la Commission électorale indépendante. Ça là on peut faire, et on doit faire.
Vous êtes un proche de Laurent Gbagbo et dites clairement que vous n’êtes pas du F.P.I.. Mais est ce que vous êtes toujours PDCI, votre parti politique d’origine ?
Non non non, je ne veux plus faire partie d’une quelconque formation politique. Je veux garder ma liberté de ton et de parole. Je suis un citoyen ordinaire dont la place n’est plus dans un parti politique.
Est-ce qu’un intellectuel de votre envergure pense être utile à sa communauté nationale tout en étant loin de son pays ? Quand rentrerez-vous en Côte d’Ivoire?
J’ai 74 ans maintenant. J’ai été le premier professeur titulaire en histoire. Je suis à mon 16ème ouvrage. Je suis à la retraite depuis 2001, j’ai formé beaucoup de personnes. On ne peut pas avoir été et être en même temps. Il faut savoir laisser la place à d’autres générations. Ne me demandez pas d’aller compétir avec ceux qui ont été mes étudiants. Je peux les accompagner pour qu’ils aillent plus loin que moi. Je suis en France pour des raisons médicales, et le Bénin est ma base. Mais lorsque j’irai mieux, je rentrerai dans mon pays. Autre chose que je voulais dire, la mission de l’intellectuel à laquelle renvoie votre question. Je veux participer au débat, non pas en tant que sachant, mais en tant que citoyen qui a un peu lu. C’est tout. Et ceux avec qui je suis en dialogue sont tout aussi respectables, tout aussi intelligents. La mission de l’intellectuel africain n’est pas celle d’une minorité agissante ou d’une minorité avant-gardiste. Elle est celle de l’éclairage technique que vous pouvez apporter dans un débat. Mais le débat doit rester citoyen. C’est dans cet esprit que mes futurs lecteurs doivent comprendre le sens de mon ouvrage sur la souveraineté. Ce n’est pas une œuvre de maître à ses élèves, mais la contribution d’un citoyen qui donne des matériaux pour l’approfondissement des réflexions sur le concept de la souveraineté. Je me méfie beaucoup de la notion de l’intellectuel organique.
Depuis sa libération, avezvous rencontré le président Laurent Gbagbo ?
Le président Laurent Gbagbo va très bien. Comme d’habitude, son moral est au beau fixe. Depuis sa sortie de prison, il m’a fait l’honneur de me parler au téléphone. Mais avant sa libération, il m’avait reçu pendant quelques heures à la prison de la CPI. l’année dernière.
Laurent Gbagbo n’a pas changé. Laurent Gbagbo n’a pas changé, cela veut dire quoi ? Est-il toujours souverainiste ?
Plus que jamais ! Mais c’est surtout son espoir pour une Côte d’Ivoire qui va reprendre sa marche vers l’avant qui est grand. Il a insisté sur la notion de la réconciliation, et je crois qu’il a raison de le faire. Je suis de ceux qui pensent qu’il n’est pas encore temps qu’il parlent directement aux Ivoiriens. Terminons avec les procédures de ce procès inique.
Certains observateurs de la vie publique ivoirienne disent que le dernier combat politique de Laurent Gbagbo sera de savoir qui a gagné l’élection présidentielle de 2010 ?
Je peux peut-être me tromper, mais je ne le crois pas. Dans tous les cas, nous n’avons pas abordé ce sujet lors de ma visite. Sinon, ce sujet relève aujourd’hui du travail des historiens dont je suis.
Dont Laurent Gbagbo aussi est …
Si la question l’intéresse un jour, il fera les travaux nécessaires.
Vous qui avez été ministre de l’éducation nationale en Côte d’Ivoire, quel est votre sentiment quand vous voyez les convulsions que connaît l’école ivoirienne ? C’est dommage que des millions d’enfants soient sacrifiés sur l’autel de la politique politicienne. Voilà pourquoi quand j’étais aux responsabilités, je ne cessais de répéter que l’école n’est pas une question politique. Quand l’école marche, tout marche. Il faut discuter avec les enseignants. Si par crainte d’aller en prison, ou de voir leurs comptes gelés, les enseignants reviennent en classe avec en arrière-pensée de détruire nos enfants, il y’a danger ! Ainsi à un cours de mathématiques, il parle d’autres choses, à un devoir, il donne la note de 20 à tout le monde, tout en sachant que tous les élèves ne méritent pas cette note. Qui perd ? Ce n’est pas lui en tout cas. J’ai été marqué par cette phrase inscrite au fronton de l’université Johannesburg en Afrique du Sud ; si vous voulez détruire un pays, détruisez son système éducatif. La compétition avec les autres peuples du monde entier est quasi permanente.Il faut que les responsables de notre pays comprennent cela, ils ne doivent pas laisser détruire notre système éducatif, sinon, c’est notre pays qu’ils laisseront détruire.
Interview réalisée par Jean-Paul Oro, à Paris
Source: Intelligent N°4395 du 24/03/2019