Fabriquer un nouveau peuple ivoirien : la question de l’identité nationale.

Jacques –André Gueyaud, Ph. D.
Professeur titulaire –Université du Québec à Chicoutimi. Canada

Résumé :

Les peuples venus d’ailleurs, que ce soit les libanais, les africains de tous horizons, les occidentaux ou les
asiatiques, les exilés de guerre fratricide comme les libériens, ajoutés à la diversité ethnique, font partie de l’ethos
historique de la Côte d’Ivoire (CIV). Ils représentent d’une certaine manière, le prisme de lecture dominant de la
société ivoirienne. Cette diversité est l’horizon indispensable de notre temps avec laquelle il s’agit de reconstruire
une société ivoirienne à partir d’une nouvelle maquette, celle de l’inclusion et de l’égalitarisme identitaire.
La logique de la décolonisation amorcée avec la fracture des empires européens, devrait se poursuivre à l’intérieur
même de chaque nation, qui se serait construite à travers l’hégémonie d’un ou de quelques groupes culturels
particuliers. De la décolonisation extérieure, la CIV passerait à la décolonisation intérieure ; la fin de
l’impérialisme devrait s’accompagner de la fin de l’État-nation. La nation, alors ne sera qu’une majorité non plus
historique, mais démographique. La communauté politique doit se désinvestir de son particularisme historique,
voire ethnique, pour réaménager les rapports intercommunautaires dans une perspective explicitement égalitaire.
Et si l'identité nationale n'est plus qu'une culture majoritaire n'ayant pour elle que le privilège démographique, il
faut donc, encore une fois, mettre à plat la communauté politique pour qu'une diversité d'identités puisse désormais
s'y manifester. La citoyenneté qui devrait s’évider de tout substrat identitaire, ne serait plus qu’un article juridique,
parce qu’elle serait déliée de la nationalité en désarticulant la communauté politique de la communauté historique.
Il faudrait donc dissoudre les cultures historiques dans une forme d'indétermination historique les réduisant
désormais à un pacte juridique appelé à se fondre dans le cadre d'un contractualisme diversitaire. L'identité
nationale serait alors pour la communauté diversitaire ivoirienne, la recherche, si elle ne l'a pas, l'affirmation si elle
la possède, et la défense si elle la croit menacée, de la maîtrise de sa vie politique, économique et culturelle
L'important est de souligner que c'est le peuple concret qui reste indéterminé. Le peuple ne préexiste pas au fait de
l'invoquer et de le rechercher. La CIV serait donc devant un paradoxe, une démocratie sans démos, sans peuple, un
pouvoir ne sachant plus à quel peuple se référer. Il s'agira donc de renouveler la question du contractualisme et
cela, bien évidemment, à partir de la diversité, ce qui implique une transformation programmée des processus de
représentation.
En fait, si la souveraineté ne trouve pas à renouveler sa légitimité de la représentation de la diversité, elle sera
désormais vécue et ressentie comme une pure domination. La démocratie pour s'accomplir comme un idéal, devrait
passer par un nouveau processus qui ne chercherait plus à représenter la société comme une unité dans la mise en
scène de grands projets concurrents, mais la société comme diversité. Ainsi vont le vivre-ensemble et le vivre
–avec, piliers d'un État diversitaire
L'institutionnalisation de la diversité ou du multiculturalisme serait nécessaire à la démocratisation de la
communauté politique qui devrait s'ouvrir au mouvement de recomposition continue du Démos. La démocratie ne
serait qu'une mise en forme de la diversité contre l'hégémonie institutionnalisée dans l'État-nation.
Il ne suffit pas d'ouvrir la citoyenneté aux groupes minoritaires qui prétendent se constituer dans une dynamique
revendicative. Il faut plutôt ouvrir la société et construire une nouvelle représentation de la collectivité,
véritablement inclusive et, ensuite, travailler à implanter en changeant les mentalités et les attitudes devant la
diversité, ce qui passe par un plaidoyer justifiant le passage de la tolérance à la reconnaissance, de la politesse à
l'obligation d'aimer, du respect de son prochain à l'amour obligatoire de son prochain.

On aurait beau chercher dans le monde, on ne trouverait pas dans la vie politique
contemporaine, de partis politiques aspirant au pouvoir ou de grandes institutions

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sociales qui ne font pas une promotion de la diversité. Mieux, ces instances officielles
reconnaissent que la diversité est une richesse, un terreau fertile pour le
développement et l’émancipation progressive d’une nation, tant elle accède aux
savoirs, savoir -faire et savoir – être issus de la diversité.
Les peuples venus d’ailleurs, que ce soit les libanais, les africains de tous horizons, les
occidentaux ou les asiatiques, les exilés de guerre fratricide comme les libériens,
ajoutés à la diversité ethnique, font partie de l’ethos historique de la Côte d’Ivoire
(CIV). Ils représentent d’une certaine manière, le prisme de lecture dominant de la
société ivoirienne. Cette diversité est l’horizon indispensable de notre temps et il
faudrait reconnaître ses droits, et peut-être même l’inscrire dans la constitution.
Sous cet angle, la lutte contre les discriminations, telle qu’entendue chez les
constructeurs de la société inclusive, a peu à voir, et pour tout dire, rien à voir, avec
un simple réformisme libéral ; celui-ci vise simplement à favoriser l’intégration à la
vie sociale ivoirienne, des groupes victimes de guerre fratricide comme les libériens,
ou victimes d’une forme explicite et détestable de ségrégation comme les Peulhs en
Guinée, les Biafrais au Nigéria, ou encore des groupes victimes de conditions
économiques fragiles qui les marginalisent dans leurs pays d'origine.
Il s’agit plutôt de reconstruire la société ivoirienne à partir d’une nouvelle maquette,
celle de l’égalitarisme identitaire qui se réclamera de la société ivoirienne inclusive.
Ce faisant, les termes vaseux de « l’Ivoirité » et du « Rattrapage ethnique » prônés
respectivement par les Présidents Bédié et Ouattara, ne peuvent être largement
prospères que dans l'intérêt de leur concepteur, nullement à celui de la CIV. L’État
pourrait, s’il le voulait, contribuer à réduire la fragmentation politico-identitaire de la
CIV en mettant de l’avant des mesures qui poussent à la reconstruction d’un peuple
oblitéré : fabriquer un nouveau peuple.
La question identitaire ivoirienne
Théoriquement, la démocratie n’est pas sans rapport avec le peuple. On le chante et
on le célèbre, et c’est en son nom, quoique timidement en Afrique de l’Ouest en
général, et en CIV en particulier qu’on a longtemps cru possible de faire avancer le
genre humain. Mais le peuple moderne n’est pas une société indéterminée : c’est une
réalité inscrite dans les profondeurs de l’histoire.
.

La logique de la décolonisation amorcée avec la fracture des empires européens,
devrait se poursuivre à l’intérieur même de chaque nation, qui se serait construite à
travers l’hégémonie d’un ou de quelques groupes culturels particuliers (Akan, Krou,
Malinké pour ne citer que ceux-là dans le cas de la CIV), une hégémonie reconduite
sur les populations issues de l’immigration et constituées en minorités culturelles
désormais porteuses d’un droit à la différence à faire respecter.
De la décolonisation extérieure, nous passerions à la décolonisation intérieure. En
d’autres termes, la fin de l’impérialisme, devrait s’accompagner de la fin de l’État-
nation. Le fondement sur des bases majoritaires ethniques de la communauté politique

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actuelle ne serait plus légitime. La diversité ne devrait plus être refoulée dans les
marges sociales ou privatisée ; combien de fois n’a-t-on pas entendu des cadres
ivoiriens ou à autres statuts sociaux ivoiriens s’exclamer, j’ai mon libanais ! Ce
dernier est vu à travers cette expression, comme le pourvoyeur de fonds, de matériel
ou d’outils à crédit pour la réalisation de projets personnels. Par ailleurs, la diversité
ne devrait plus être refoulée dans le registre de préférences personnelles (privilégier
un groupe d’immigrants au détriment d’autres), mais reconnue comme un fondement
politique.
La nation en se posant comme la seule source de légitimité politique, aurait en fait
contraint la communauté politique à prendre forme dans une structure moniste, c’est-
à-dire dans toute doctrine qui prétend ramener à l'unité le principe de l'intelligibilité et
le principe de l'existence, contradictoire avec l’expression de la diversité irréductible
du social. De la sorte, elle ne disposerait plus d’expression politique dans la mesure
où, privée de force, la citoyenneté, se constituant dans la seule matrice de
l’universalité qui, quant à elle, aurait masqué l’hégémonie contraignante et
potentiellement tyrannique du groupe majoritaire au pouvoir.
La désymbolisation radicale de la souveraineté nationale entraîne son dévoiement
comme une manifestation pure de la domination. On assiste actuellement en CIV et
cela, en raison du principe du rattrape ethnique du pouvoir en place, à la consécration
des ressortissants du groupe Malinké, comme les seuls gestionnaires compétents des
instances publiques et privées de la CIV, alors que le pays regorge de femmes et
d’hommes formés et compétents dans toutes les sphères de développement de la CIV.
Pour éradiquer de tels actes qui frisent la discrimination, il faudrait déboulonner la
nation de son piédestal, refouler son hégémonie sur la définition de l’espace public et
basculer du mythe de l’unité de la communauté politique à la nécessaire
institutionnalisation de la diversité. Cela implique évidemment d’ouvrir l’espace
public à la diversité des revendications marginales ou minoritaires intra- réseaux et
extra-réseaux ethniques qui prennent souvent la forme de revendications
identitaires.ne plus assurer la pleine expression de la majorité mais assurer sa
neutralisation pour qu’adviennent politiquement les minorités.
La nation devrait donc s’ouvrir à la diversité, la société devant désormais être pensée
comme une constellation sans point fixe ordonnant de manière autoritaire les identités
et les représentations sociales. L’aplatissement de la communauté politique, sans
relief identitaire, la mise à niveau de toutes communautés qui s’y trouvent, peu
importe leur enracinement historique, seraient la condition première d’une identité
collective démocratique.
L’enjeu du multiculturalisme, du point de vue sociétale, est clair : il ne s’agit plus
seulement de faire porter la délibération publique sur l’aménagement de la
communauté politique, voire ethnique, mais sur sa définition même, sur son existence
même, sur son identité. En CIV, on fait souvent référence aux groupes ethniques et
aux communautés étrangères libanais, togolais, sénégalais, burkinabé, etc. pour
déterminer la population vivant sur le territoire ou pour faire le constat de la diversité
historique. Mais derrière la permanence du vocabulaire, on ne saurait réellement

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identifier ce qui est spécifique à chacun de ces groupes, tellement groupes ethniques
et communautés extra-ethniques sont interpénétrés.
Il n’est plus possible de tenir pour acquis la nation: elle n’est plus qu’un discours
hégémonique au service d’une majorité s’appropriant le monde commun pour son
bien exclusif. Défendre la nation consistera, de ce point de vue, à défendre
simplement un communautarisme dominant sans légitimité. La conséquence en sera la
référence aux identités (ethnies) historiques nationales en tant qu'identités
substantielles. Elles sont des identités irréductibles à l'imaginaire contractualiste, en
quelque sorte, elles sont les substrats historiques, en tant que cultures, héritages et
mémoires mais elles ne sont plus compatibles avec une démocratie reconstruite dans
la lutte contre les discriminations.
Une identité historique irréductible aux consentements et aux paramètres du
contractualisme appelée néanmoins à structurer la citoyenneté et la communauté
politiques serait un problème du point de vue de la démocratie. Car l'idéal
démocratique réinventé devrait penser la société comme une pure construction centrée
sur l'idéal d'une citoyenneté radicalement égalitaire et appliquée au plus grand nombre
possible de relations sociales.
Et si l'identité nationale n'est plus qu'une culture majoritaire n'ayant pour elle que le
privilège démographique, il faut donc, encore une fois, mettre à plat la communauté
politique pour qu'une diversité d'identités puisse désormais s'y manifester. Surtout, il
faudrait démanteler radicalement les processus sociologiques et politiques qui
travaillent à l'assimilation des nouveaux arrivants dans un contexte où l'immigration
est de plus en plus massive.
La citoyenneté devrait s'évider de tout substrat identitaire. Il faudrait délier la
citoyenneté et la nationalité en désarticulant la communauté politique de la
communauté historique. La citoyenneté ne sera plus qu'un article juridique. Les
institutions publiques devraient s'arracher à l'histoire pour accueillir la diversité des
revendications qui cherchent à s'y faire connaître, ce en quoi, la philosophie de la
reconnaissance mobilisée par le multiculturalisme repose en fait sur l'oblitération
préalable des cultures nationales. Le multiculturalisme entend neutraliser, voire
déconstruire la notion même d'une culture de convergence dans la mesure où celle-ci
ne pourrait se constituer comme norme qu'à travers un rapport hégémonique
consistant à instrumentaliser les institutions politiques au services d'un
communautarisme majoritaire. La nation en CIV pour nous, n'a ni substance ni
identité.
Quelle identité nationale en Côte d'Ivoire ?
Se poser le problème du multicommunautarisme, c'est aussi se poser la question de la
date à laquelle s'arrête la bienvenue à tous ceux qui migrent d’une région ou d’une
autre à l’intérieur de la CIV, ou encore à tous ceux qui venus d'ailleurs, sont devenus
Ivoiriens et à qui nous avons souhaité le légendaire AKWABA, c'est-à-dire «
Bienvenue ».
Le débat sur l'identité nationale que ce soit en France en 2009 ou au Québec-Canada
en 2019, a donné un bon exemple de cette disqualification de plus en plus radicale de

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l'identité nationale comme la prône « Jean-Marie Le Pen », car la question identitaire
témoigne du désir de ré enracinement des peuples. En France, la gauche politique
dans son ensemble dénoncera la référence même à l'identité nationale. Le démographe
Hervé Le Bras (2019) a résumé en ces mots, l'état d'esprit de la gauche multiculturelle
en réduisant l'identité française à un simple tampon administratif: « pour moi, être
français, c'est avoir la nationalité française, un point, c'est tout ».
Cette phrase de Le Bras à elle seule est instructive à plus d'un titre pour quiconque
s'interroge sur la nationalité à adopter dans notre monde moderne en CIV; elle
condamne tout appel à une définition substantielle de la nation qui impliquerait une
interprétation plus marquée entre culture et politique, entre nationalité et citoyenneté,
car elle mettrait à l'écart le consensus démocratique et témoignerait d'une régression.
Michel Rocard, pour sa part, affirmait que l'identité nationale serait par définition
ouverte dans une perpétuelle dynamique d'universalisation, sans quoi elle se
dénaturerait. Autrement dit, le propos de l'identité nationale, si celle-ci est pensée
dans le contexte de la CIV qui est une nation de plus de 60 ethnies et de communautés
culturelles, serait de ne pas être accroché, de manière fondamentale à un patrimoine
historique ou culturel, mais de se placer à partir d'une logique d'ouverture
complètement évolutive.
Il faudrait donc dissoudre les cultures historiques dans une forme d'indétermination
historique les réduisant désormais à un pacte juridique appelé à se fondre dans le
cadre d'un contractualisme diversitaire. Dans cette optique, ce qui devient de moins
en moins pensable, c'est ce qui est caractéristique à chaque communauté politique,
son particularisme historique.
Cette criminalisation de l'identité nationale se radicalise jusqu'à en appeler à la
désivoirisation de la communauté politique, la chose étant particulièrement visible
dans les questions touchant l'investissement dans l'espace public des symboles
religieux associés au Christianisme et à l'islamisme ce qui a conduit, entre autres, en
2011 à la séparation de la CIV en deux parties: le Nord musulman et le Sud chrétien.
Certains ressortissants du Nord, en majorité musulmans, se disant entre autres, les
ressortissants du Nord exclus de la vie politique investie en majorité selon eux par les
ressortissants du Sud majoritairement chrétiens se sont constitués en rebelles pour les
chasser du pouvoir.
Pour la CIV, l'identité nationale, ce serait cette tendance générale à vouloir maîtriser
et à réussir sa vie collective pour la communauté nationale qui se reconnaît
diversitaire. Elle agirait par un soi collectif, objectif souhaitable pour toute
communauté soucieuse de prendre son destin en main. L'identité nationale serait alors
pour la communauté diversitaire ivoirienne, la recherche, si elle ne l'a pas,
l'affirmation si elle la possède, et la défense si elle la croit menacée, de la maîtrise de
sa vie politique, économique et culturelle.
L’État doit non seulement répondre aux exigences de la diversité, il doit produire cette
diversité à partir de ses propres catégories administratives, ce qui veut dire que les
groupes ne devraient plus exister tant que l’État ne les aurait pas reconnus
positivement. Ce serait une dynamique de désaffiliation généralisée qui entraînerait

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une décomposition de la communauté politique, une désaffiliation légitimée par la
sacralisation du droit à la différence reconnue publiquement à travers la
recomposition d’un espace public pluraliste.
Une question cependant reviendrait plus souvent : La citoyenneté dans cet espace
public pluraliste n’aurait-elle pas l’immense vertu de faire de la place à tout le monde,
et d’accorder la reconnaissance désirée à toutes les identités présentes en CIV ? En
quoi les identités historiques devraient –elles se sentir menacées ou compromises par
ce réaménagement de cet espace public pour faire place à tous ceux qui souhaitent s’y
sentir chez eux?
Le réaménagement d’un espace public pluraliste ne veut pas dire que les groupes
historiques vont disparaître, mais il entraîne nécessairement le déboutement explicite
de toute culture historique majoritaire régionale. Il n’y aurait plus que des
communautarismes. Le communautarisme majoritaire, toutefois, devra se dissoudre,
puisqu’il n’existerait que dans le rapport de domination qu’il exercerait sur les autres
identités. Le multicommunautarisme mis en place est celui qui répond à des questions
qui se posent à l’État, sous la formulation de comment s’ouvrir à la diversité, et
jusqu’où s’ouvrir ? Ce serait en quelque sorte de créer une démocratie sans peuple
historico-politique.
Une démocratie sans peuple historico-politique.
L'important est de souligner encore une fois que c'est le peuple concret qui reste
indéterminé. Le peuple ne préexiste pas au fait de l'invoquer et de le rechercher. La
CIV serait donc devant un paradoxe, une démocratie sans démos, sans peuple, un
pouvoir ne sachant plus à quel peuple se référer. On voit où nous conduit le
congédiement des nations historico-politiques. Il s'agira donc de renouveler la
question du contractualisme et cela, bien évidemment, à partir de la diversité, ce qui
implique une transformation programmée des processus de représentation.
La délibération publique porte désormais sur la nature même du peuple qui prétend
exercer la souveraineté. Cela, parce qu'en contexte multiculturel, non seulement on ne
peut plus tenir le peuple pour acquis (et on ne saurait dire conséquemment que les
institutions le trahissent parce qu'il n'existe que par elles), mais une bonne partie de
l'activité politique consistera à délibérer sur la nature (la maîtrise de sa vie politique,
économique et culturelle) de la société, sur ses contours sur son existence.
Ainsi, l'idée voulant que le peuple n'existe plus, s'accompagne nécessairement d'une
faillite de la démocratie représentative actuelle puisant sa source dans les ethnies et
qui présuppose, on le sait, une collectivité suffisamment cohérente pour que le
commun prédomine dans la représentation sur le singulier. Il n'y a pas de démocratie
sans démos, mais il n'y aura pas de démos sans diversité. Il ne faudrait plus désormais
constituer le peuple dans le rêve d'une souveraineté indivisible en tripatouillant la
constitution par exemple, avec pour visée de maintenir au pouvoir les mêmes et seuls
gouvernants.
En fait, si la souveraineté ne trouve pas à renouveler sa légitimité de la représentation
de la diversité, elle sera désormais vécue et ressentie comme une pure domination. La
démocratie pour s'accomplir comme un idéal, devrait passer par un nouveau processus

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qui ne chercherait plus à représenter la société comme une unité dans la mise en scène
de grands projets concurrents, mais la société comme diversité. Ainsi vont le vivre-
ensemble et le vivre –avec, piliers d'un État diversitaire.
La démocratie ne serait plus le triomphe de l'un ou la transformation du peuple en
prince, pour paraphraser Alain Touraine, mais elle reconnaîtrait sa vitalité non pas
dans la mise en scène d'une souveraineté surplombante, mais par sa capacité à faire
surgir les paroles historiquement refoulées. Il faut donc assurer une inclusion
systématique des groupes historiquement dominés dans l'espace public en tant
qu'interlocuteurs incontournables, sans quoi la démocratie n'est qu'un vœu pieux parce
que privée de toute légitimité.
L'institutionnalisation de la diversité ou du multiculturalisme serait nécessaire à la
démocratisation de la communauté politique qui devrait s'ouvrir au mouvement de
recomposition continue du Démos. La démocratie ne serait qu'une mise en forme de la
diversité contre l'hégémonie institutionnalisée dans l'État-nation.
Fabriquer un nouveau peuple passe par une gestion thérapeutique de la
diversité.
La refondation de la démocratie sera incomplète tant qu'elle n'aura pas été
radicalement intériorisée par la population, et que cette dernière n'aura pas transformé
intimement son identité. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. La transformation
devra se faire par la pédagogie, par la reconnaissance comme une gestion
thérapeutique de la diversité. Le peuple réel celui associé à l'ancien monde des
majorités ethniques, et qui existe encore, résistera de bien des manières à sa
dissolution. Il continuera de penser en des termes classiques la question de son
appartenance au monde. C'est un obstacle majeur sur lequel butera l'État diversitaire
ivoirien: mais il ne devrait pas douter toutefois de ses capacités de l'abattre et de
fabriquer un nouveau peuple.
Il faut, de ce fait, à terme, reprogrammer les pratiques sociales et culturelles pour
démanteler les schèmes discriminatoires et le système exclusionnaire qui les
articulent. Il faut non seulement déprendre l'emprise de la majorité sur les minorités,
mais il faut également reformer la majorité pour l'amener à consentir à ce nouveau
monde où elle ne sera plus qu'une communauté. Il faut, par la pédagogie et la
reconnaissance de la diversité, amener la majorité à vouloir la fin de ses privilèges, à
désirer ardemment à s'en déprendre, à s'en délivrer.
Il ne suffit pas d'ouvrir la citoyenneté aux groupes minoritaires qui prétendent se
constituer dans une dynamique revendicative. Il faut plutôt ouvrir la société, ce qui
implique de transformer plus généralement les schèmes culturels, et cela à travers une
action publique conforme à une gestion thérapeutique. En d'autres mots, il faut
transformer les comportements, voire les attitudes devant la diversité.
Il s'agit de lutter contre la vieille culture pour la remplacer par une nouvelle. Mais
pour que la diversité puisse se manifester librement, pour que les modes de vie
alternatifs ne subissent pas la stigmatisation au niveau des pratiques sociales, il est
indispensable de reconstruire les schèmes culturels dominants qui s'étaient
historiquement constitués sur le refoulement de la différence.

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Il faudrait construire une nouvelle représentation de la collectivité, véritablement
inclusive et, ensuite, travailler à implanter en changeant les mentalités et les attitudes
devant la diversité, ce qui passe par un plaidoyer justifiant le passage de la tolérance à
la reconnaissance, de la politesse à l'obligation d'aimer. Du respect de son prochain à
l'amour obligatoire de son prochain. On voit là l'ambition de la politique de la
reconnaissance. C'est dans cette perspective que s'est développée l'école pluraliste qui
met l'accent sur l’identité et, dans sa formulation plus radicale, de l'éducation
antiraciste qui demeure une tâche à reprendre sans cesse.
L'État thérapeutique demandera à l'école en CIV, de reconstruire la Culture pour la
disposer favorablement envers le multiculturalisme à la manière d'une thérapie afin de
réformer une culture indisposée envers les actions du pluralisme identitaire. À terme,
il faudra créer la culture commune la moins offensante possible envers les personnes
qui se retrouvent minoritaires dans une région, dans la mesure où la liberté
d'expression ne devrait pas tolérer l'expression de propos en contradiction avec les
formes contemporaines du vivre-ensemble et du vivre-avec.
La démocratie pluraliste devrait aboutir, à la formation, dans la culture, d'un modèle
de la personnalité démocratique à se situer en contraste avec la personnalité
autoritaire. C’est dire qu'à travers sa mutation thérapeutique, la CIV diversitaire doit
faire naître un nouveau type d'homme. La démocratie ne sera véritablement légitime
que lorsqu'en CIV, elle aura accouché d'un nouveau peuple avec un projet national de
développement et d'émancipation, un peuple qui lui, sera digne d'exercer la
souveraineté, car il sera purgé de l'identité du peuple ancien.
En fait, la société, devenue laboratoire de l'utopie, est absolument absorbée par l'État,
qui à travers son dispositif technocratique et juridique, vient à s'emparer de tous les
processus de socialisation. L'État diversitaire évolue ainsi vers la mise en place de
l'homme nouveau, le type d'homme nécessaire à son projet politique.

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