Gbagbo et blé Goudé vers un acquittement plus triumphal

par César Etou

La Chambre d’Appel de la Cour pénale internationale (CPI) a pris, dans le dossier le Procureur contre Gbagbo/Blé Goudé, deux graves décisions, au triple plan juridique, moral et éthique. Le 18 janvier 2019, à la majorité de trois juges contre deux, elle a d’abord déclaré «suspendue la libération immédiate» ordonnée deux jours avant par la Chambre de Première Instance en faveur du président Laurent Gbagbo et du ministre Charles Blé Goudé

Elle a ensuite annoncé une audience publique, le vendredi 1er février 2019, pour mettre à discussion cette suspension de la liberté immédiate, conformément au vœu du Bureau de la procureure.

Fatou Bensouda s’oppose, en effet, à la libération des deux détenus, alors qu’ils sont déclarés innocents par la Cour qui les a jugés. Pour la procureure, le Président Gbagbo et le minister Charles Blé Goudé pourraient profiter de leur libération «pour s’enfuir». La procureure gambienne de la CPI et son équipe continuent de rêver à une reprise totale du déjà trop long procès qui durait depuis plus de sept ans de détention gratuite des accusés, et qui a été finalement stoppé le 15 janvier 2019.

Renversé le 11 avril 2011, le président Laurent Gbagbo a été déporté à La Haye, le 29 novembre de la même année. A cette date, la Côte d’Ivoire n’était même pas signataire du Statut de Rome qui institue la CPI. Le 13 février 2013, à la première audience de confirmation des charges, la Chambre préliminaire I déclare «les preuves d’accusation insuffisantes» pour un procès digne de ce nom. Mais au lieu d’ordonner la liberation du président ivoirien renversé, cette chambre decide de le maintenir en prison et d’accorder, rigolent les puristes du droit, «un temps additionnel au bureau du procureur pour réunir toutes les preuves nécessaires à la condamnation de Laurent Gbagbo !». C’était déjà la première catastrophe morale et éthique à la CPI, dans le dossier Gbagbo.

En mars 2014, le ministre Charles Blé Goudé est aussi transféré dans des conditions judiciaires abominables à La Haye. Les deux affaires sont jointes et les charges jugées «suffisantes pour le procès».

Au départ, tout leur était hostile!

Les délits des plus invraisemblables sont collés à Gbagbo et Blé Goudé par la procureure gambienne qui a remplacé le premier procureur argentin de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, selon le journal français en ligne Mediapart : «Crimes contre l’humanité, crimes de guerre, viols, traitements inhumains et autres». Selon Fatou Bensouda, Laurent Gbagbo a élaboré «un plan commun pour massacrer Dioulas, musulmans, étrangers et partisans d’alassane Ouattara pour conserver son pouvoir». Et dans l’exécution de ce plan,«laurent gbagbo a mis en place une Organisation criminelle qui a commis des crimes dans lesquels il a engagé sa responsabilité personnelle».

Pour démontrer ces odieuses accusations, Fatou Bensouda affirme pince sans rire, que «l’Organisation criminelle de gbagbo a tué des Dioulas, des musulmans et des étrangers partisans d’alassane Dramane Ouattara lors d’une marche pacifique sur la radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI, 16 décembre 2010) ; massacre à tirs d’obus six ou sept femmes dioulas, musulmanes, étrangères et partisanes de Ouattara lors d’une autre marche pacifique à Abobo (3 mars 2011) ; tué encore des Dioulas, des musulmans, des étrangers et partisans d’alassane Dramane Ouattara par des tirs d’obus sur le marché Siaka Koné d’abobo (le 16 mars 2011) ; commis d’autres crimes de la même nature à Yopougon (12 avril 2019».

Pour nombre d’observateurs, c’en était fini pour Gbagbo et Blé Goudé. Seuls, les partisans du président renversé, feu Abou Drahamane Sangaré en tête, entretiennent l’espoir d’un… renversement de situation ! L’homme d’Etat Gbagbo plaide lui-même «non coupable» et promet de lutter contre l’arbitraire «jusqu’au bout». La Chambre de Première Instance I présidée par l’Italien Cuno Tarfusser ouvre les débats, le 26 janvier 2016.

Bensouda a alors le vent en poupe et les trois juges qui composent la Chambre de Première Instance entament le procès, couteau entre les dents, contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. Pendant deux (2) longues années, ces trois juges font preuve d’une très violente méchanceté contre les accusés : Toujours à la majorité de deux juges contre un, ils les prive de toute présomption d’innocence et rejettent treize (13) demandes de mise en liberté provisoire formulées par les avocats de la défense pour ménager notamment la santé de Laurent Gbagbo, 73 ans aujourd’hui. Cependant, il faut le reconnaitre, cette cour fait aussi preuve d’une grande patience : Sur «137 témoins à charges» inscrits par Bensouda pour couler l’insubmersible Laurent Gbagbo, Cuno Tarfusser et ses deux accesseurs en écoutent 82. Ils les voient se transformer en «témoins hostiles contre la procureure de la Cpi et déposer, pour ceux qui sont crédibles, à décharge en faveur du président gbagbo», constatent les observateurs avertis.

Le 28 janvier 2018, la Chambre de Première Instance I arrête le scandaleux défilé des témoins de la procureure et demande aux avocats de la défense de plaider à la fois pour la mise en liberté provisoire et pour l’acquittement du president Laurent Gbagbo et du ministre Charles Blé Goudé. Les cruciaux débats ont eu lieu le 13 octobre 2018.

Vers des débats sur du vide !

Le mardi 15 janvier 2019, le verdict tombe : «la Chambre de première instance iconstate, après avoir dépouillé des milliers de documents d’accusation et entendu 82 témoins, que le bureau de la procureure ne s’est pas acquitté de son devoir d’apporter les preuves des accusations et n’a pas fait la démonstration de l’existence du ‘’plan commun’’ dans les actes et dires des accusés». Ici aussi, à la majorité de deux juges contre un, la Chambre prend trois décisions : «la Cour ordonne l’arrêt du procès et déclare inutile d’entendre les accusés et leurs témoins, le dossier de l’accusation étan vide ; laurent gbagbo et Charles Blé goudé sont acquittés de toutes les charges retenues contre eux et, de ce fait, toute demande de liberté provisoire est sans objet ; en, conséquence la Chambre ordonne leur mise en liberté immédiate», décryptent les juristes ivoiriens consultés par le FPI à Abidjan.

Le mercredi 16 janvier, sur saisine de la procureure, toujours à la majorité de deux juges contre un, la même chambre fait signer des documents par lesquels le président Gbagbo, le minister Blé Goudé et leurs avocats prennent l’engagement de répondre à tout appel de la CPI, en cas de besoin. La Chambre rejette donc la demande formulée par Bensouda«pour maintenir en prison des innocents acquittés et libres d’aller où ils veulent». Mais plus grave, la Chambre de Première Instance I prévient Fatou Bensouda et ses petits copains du parquet de la CPI : «aucun juge, aucune  chambre sérieuse et crédible à la Cour ne remettra en cause, à partir du dossier analysé ici,  les décisions de cette Chambre de première instance!».

Qu’à cela ne tienne, en pleine nuit, ce mercredi 16 janvier 2019, alors que les modalités de la sortie des deux innocentés et acquittés sont en cours au greffe de la CPI, un recours est depose par Fatou Bensouda à 20h locales – 19h d’Abidjan – devant la Chambre d’Appel de la CPI. Apparemment, les cinq juges de cette chamber étaient déjà réunis pour attendre ce recours. Prestement, ils siègent et ordonnent «la suspension de la mise en liberté immédiate» des acquittés. Le vendredi 18 janvier à 9h, la Chambre d’Appel de la CPI prend la décision de maintenir en détention les deux innocents et acquittés, en attendant de recevoir le recours de la procureure (23 janvier au plus tard) et les observations écrites des avocats (27 janvier), aux fins d’une audience publique le 1er février.

Cette décision du 18 mars ne casse pas du tout l’acquittement prononcé. D’abord elle donne 15 jours à Fatou Bensouda pour apporter et soutenir les preuves qu’elle n’a pas fournies en 7 ans de procédure. Le hic est que cette décision  maintient aussi en prison, pour 15 jours, deux innocents jugés et acquittés. C’est une idiotie juridique, morale et éthique. Mais à la CPI, on l’a déjà écrit, cela n’est ni la première ni la dernière dans le dossier Gbagbo. La singularité est que cette fois, la manœuvre ressemble au dernier massage cardiaque administré à la procureure gambienne de la CPI avant qu’elle ne s’évanouisse pour de bon, lorsque la Chambre d’Appel va, elle aussi, dire le droit comme la Chambre de Première instance I l’a annoncé.

Aux partisans du president Gbagbo, il ne leur reste plus qu’à garder leur sérénité et à se préparer à célébrer l’acquittement total et plus triomphal que celui du 15 janvier de leur champion. C’est vers cela que la Chambre d’Appel conduit cette sale affaire qui va sûrement consacrer l’échec total et sans appel de Fatou Bensouda.

Qui vivra verra.

Source: la Voie originale n°382 — Lundi 21 janvier 2019 – –

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