Sangaré, le fidèle combattant est tombé parcours d’un militant fidèle parmi les fidèles

Sangaré, le fidèle combattant est tombé parcours d’un militant fidèle parmi les fidèles

Un dossier de César Etou

Il est né discret. A vécu discret. A souffert dans la discrétion, en politique comme dans la maladie. S’est tiré sa révérence en toute discrétion, à la grande surprise de l’écrasante majorité des membres de ses propres familles biologique et politique, le 3 novembre 2018. Il s’en est allé un week-end, moment choisi en Côte d’Ivoire pour laisser toute l’attention détournée des vivants par les funérailles des morts, ou par des activités de distraction.

Abou Drahamane Sangaré a toujours été comme ça. c’était un personnage discret. Il préférait, en vérité, le silence au spectacle. Ses derniers détracteurs faisaient croire que lui, Sangaré, fondateur du FPI, était engagé, à 72 ans, dans «une lutte de positionnement» avec eux. Pitoyable turpitude pour ces gens qui savent très bien que dans la politique, les rôles et apparitions publics du «Jumeau de Gbagbo», ont toujours été forcés par son devoir de redressement de la lutte ou par le destin. a cet âge, il n’a accepté les fonctions de président par intérim du parti dont il est co-fondateur que pour sauver le FPI que l’on conduisait à l’abattoir et pour secourir la démocratie en danger. Abou Drahamane Sangaré, enseignant titulaire d’un doctorat d’état en Droit international public obtenu à l’Institut du Droit de la Paix et du Développement (IDPD) de Nice (France), s’est éteint le Samedi 3 Novembre dans sa soixante douzième (72) années. Sa vie se confond avec sa rencontre avec Laurent Gbagbo. Cette rencontre remonte exactement à 1969 dans la lutte, sur le campus universitaire de cocody, contre le Mouvement des Elèves et Etudiants de côte d’ivoire (MEECI), succursale du Parti unique PDCI-RDA en milieu scolaire et universitaire. Né d’un père «Dioula», musulman malinké d’Odienné (nord) et d’une mère chrétienne du canton Goli (baoulé) de Bodokro, dans le département de Bouaké (centre du pays), Sangaré était alors inscrit en deuxième année de droit et Gbagbo était déjà professeur d’Histoire au Lycée classique d’abidjan. Ils ont un même maître à penser: le professeur Bernard Zadi Zaourou, l’un des premiers opposants de gauche à Félix Houphouët-Boigny. ils luttaient contre l’idéologie du parti unique. Abou Drahamane Sangaré est timide et effacé. Mais la lutte et le séjour carcéral au camp militaire de Séguéla (nord-ouest du pays) le rattache à Laurent Gbagbo, homme vif et éloquent. Il ne le quittera plus : «Nous traversons la vie ensemble», expliquait toujours Sangaré qui ajoute : «Moi, si on dit de moi que je suis un compagnon de gbagbo, c’est qu’on ne nous connait pas. Je ne suis pas avec gbagbo», expliquait constamment Sangaré. Décryptage : «Je suis moimême un gbagbo».

Le président Laurent Gbagbo l’a toujours confirmé dans les milieux FPI: «Sangaré, c’est un autre moi-même, c’est mon frère jumeau». Sangaré a beau penser que cela était trop flatteur pour lui, les militants du FRI l’ont surnommé «le Jumeau de Gbagbo». Les deux nourrissaient ce lien mythique entre les enfants issus du même œuf. Quiconque est entré en conflit avec l’un a vérifié cette complicité avec l’autre. celui qui sollicitait l’avis de l’un, et qui cherchait à le piéger chez l’autre, en sortait stupéfait : sans se concerter, Gbagbo et Sangaré pouvaient avoir mécaniquement la même réponse face à la même situation. L’amitié entre Laurent Gbagbo et Abou Drahamane Sangaré s’est renforcée davantage après un lien que certains qualifient de mystique, mais qui devait être plutôt un engagement sincère et ferme, tissé à Strasbourg: Dans la chambre de l’étudiant Amadou Traoré dit Le Puissant, Laurent Gbagbo, Assoa adou, Bernard Zadi Zaourou et Traoré Le Puissant ont juré «de lutter, quoiqu’il arrive aux autres, et même à titre individuel, pour instaurer la démocratie en Côte d’ivoire». Les quatre ont appelé cet engagement «Le serment de Strasbourg» du petit noyau de responsables de gauche menés par Zadi. Le postulat était clair : «Si jamais l’un de nous meurt, celui qui reste en vie doit tout faire pour prendre le pouvoir et changer la Côte d’ivoire». Zadi Zaourou et Traoré Le Puissant sont morts. Gbagbo, Sangaré et Assoa Adou sont en vie. Mais c’est Gbagbo et Sangaré qui ont le plus hérité de ce serment. Ils ont jeté ensemble les bases formelles de la lutte en créant le FPI en 1982, en compagnie d’Emile Boga Doudou, Simone Ehivet et Pascal Dago Kokora. Plus tard, Gbagbo a épousé Simone mais Sangaré et lui ne s’étaient plus jamais quittés. Ils sont demeurés ensemble, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre, jusqu’à ce fatidique samedi 3 novembre 2018.

C’est à l’aune de ce serment qui a renforcé leur amitié qu’il faut comprendre l’engagement de Sangaré dans l’ombre de Laurent Gbagbo. Dans leur lute Sangaré rappelait toujours : «Laurent a un point d’avance sur moi, et nous sommes heureux de faire le chemin ensemble». Quel est ce point d’avance ? L’éloquence dans le verbe ? La réactivité ? La tactique politique ? Ou tout cela ? Motus à jamais !

Le 30 avril 1990, quand le multipartisme démocratique est proclamé par HouphouëtBoigny, Laurent Gbagbo crée, le 30 août 1990, l’hebdomadaire le Nouvel Horizon. La Société Editrice est La SADEA-EDITIONS – Sangaré (Abou Drahamane) ; Arnaud (Paul), ; Dacoury (Louis André Tabley) ; Ehivet (Simone) et Adjé (N’Zi) pour SADEA) – pour porter la voix de la lutte. La société créera plus tard, le 17 juin 1991, la Voie. C’est le premier quotidien privé du pays. Sangaré est le Directeur de publication de ces deux journaux. «C’était un poste taillé pour la prison. Nous avons réparti les rôles. On devait passer par là pour conquérir la liberté de presse», expliquera plus tard Laurent Gbagbo. Effectivement, en 1993, Sangaré est bastonné dans le cabinet de Gaston Ouassénan Koné, ministre de la Sécurité d’Henri Konan Bédié; En 1994, le DP Sangaré est emprisonné pour «incitation à la violence» suite à une série d’articles jugés virulents contre Henri Konan Bédié dans le quotidien la Voie (devenu Notre Voie le 4 mai 1998). Il est enfin remis en prison en décembre 1995 suite à un titre de la Voie, «l’ASEC perd à domicile face à Kotoko du ghana : Bédié était là, le malheur aussi». Ayant accédé au pouvoir en octobre 2000, Laurent Gbagbo fait voter la loi 2004-643 du 14 décembre 2014 pour «dépénaliser les délits de presse». Sangaré en avait déjà payé le prix par la prison et la violence subie. La solidité dans la complicité entre Gbagbo et Sangaré a fini par sauter aux yeux de tous. Et c’est l’hebdomadaire Jeune afrique qui le constate, dans la lutte pour la libération de Laurent Gbagbo : «Sangaré milite ouvertement pour que le mouvement (Fpi) se consacre exclusivement à la lutte en faveur de la libération de celui qui, à ses yeux, est pris en otage par la communauté internationale à la Cour pénale internationale [Cpi]. pour lui, pas de changement possible en Côte d’ivoire sans Laurent Gbagbo. Droit dans ses bottes militantes, soutenu par l’écrasante majorité des militants et cadres de son parti, celui qui a présidé le congrès constitutif du Fpi en novembre 1988 à Dabou, près d’Abidjan, (était) un rempart contre ceux qui ne poursuivent pas le même objectif». Et au journal panafricain édité à Paris de le citer : «Gbagbo m’a donné son onction comme gardien du temple. il a fait de moi l’un des membres fondateurs avec simone gbagbo. J’ai quand même les clés de la fondation, je connais les fondamentaux».

Alors, à tort ou à raison, les détracteurs d’Abou Drahamane Sangaré ont fait croire, en raison de cette complicité à trois, que lors de la crise postélectorale de 2011, «les plans jusqu’au-boutistes de l’ancien président reposaient sur deux personnes : Simone Gbagbo et Sangaré». arrêtés ensemble avec Laurent Gbagbo renversé le 11 avril 2011, Sangaré a été enfermé à Katiola et Simone à Odienné puis à l’Ecole de la Gendarmerie nationale à abidjan. Sangaré a été libéré en 2012. Il a gardé tout seul la maison FPi jusqu’à ce que Simone soit amnistiée le 6 août 2018.

Dans «le camp des fidèles à Laurent Gbagbo, les Gbagbo ou rien (GOR)», Sangaré était adulé pour sa fidélité, sa droiture et sa clairvoyance. Par exemple, à l’approche des élections locales meurtrières du 13 octobre 2018, aux cadres du FPI qui piaffaient d’impatience pour participer à la compétition visiblement piégée par des conditions clairement dangereuses, Sangaré mettaient en garde : «Vous pouvez y aller à titre individuel, mais le parti ne vous enverra pas à la mort. il a besoin de vous vivants. Votre présence dans cette compétition non sécurisée et déjà piégée au départ tournera très mal, mais surtout contre vous». Dix morts, de nombreux blessés, des biens privés et publics détruits, plus de 100 recours en annulation devant la cour suprême, encore des conflits latents partout. Tel est le résultat provisoire de ces élections auxquelles l’opposition crédible a évité de se mêler sur conseil de Sangaré. Ce résultat, c’est maintenant prouvé, aurait été pire. aux dernières réunions des instances qu’il a présidées, Sangaré a été vivement honoré par les militantes du FPI pour son sens d’anticipation. Finalement, son dernier combat était connu de tous : obtenir la libération de l’exprésident ivoirien, jugé à La Haye, et celle de tous les prisonniers politiques en Côte d’Ivoire ; arracher le retour des exilés et la réconciliation des ivoiriens ; voir opérée la réforme de la commission électorale indépendante (CEI), le redécoupage électoral, la reprise du recensement électorale pour un listing consensuel ; aboutir à la sécurisation de l’environnement électoral par le véritable désarmement des milices armées du RDR (au pouvoir) et l’organisation de l’élection présidentielle transparente dont il était convaincu que son parti l’emporterait haut-les-mains en 2020. C’était son programme d’intérimaire du FPI, depuis le 3ème congrès extraordinaire de son parti à Mama (Gagnoa, 30 avril 2015), agenda confirmé et reconduit par le 4ème congrès ordinaire des 3 et 4 août 2018 à la résidence de Simone Gbagbo à Moossou. Pour y parvenir, Sangaré avait ordonné le renouvellement des structures de base du FPI. L’opération est en cours depuis le 6 octobre 2018. Les premiers fédéraux élus sont connus. Le «jumeau de Laurent Gbagbo» laisse le champ en plein travaux. Un grand défi pour les héritiers politiques GOR.

Source: la Voie Orginale / N°370 du lundi 05 novembre 2018

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