Voici la décision orale de l’acquittement parla chambre de première instance

Cour Pénale Internationale (CPI)

Voici la décision orale de l’acquittement parla chambre de première instance

Propos recueillis par Petit Bayard

Le Juge-Président Cuno Tarfusser : Bonjour à tous. Je vais donner lecture orale du verdict de la Chambre sur la demande du Procureur au titre de l’article 81.3 C du Statut de Rome aux fins de maintenir Messieurs Gbagbo et Blé Goudé en détention en attendant son recours en appel. L’article 21 du statut prévoit que la Cour doit interpréter et appliquer son droit applicable et je cite : «selon les droits humains reconnus internationalement». D’après ces normes, la détention est une mesure qui est et qui doit rester exceptionnelle surtout au vu du droit qu’a un accusé à la présomption d’innocence. La décision d’aujourd’hui est une application de cette présomption et il conviendrait donc qu’il existe des raisons exceptionnelles pour que Messieurs Gbagbo et Blé Goudé soient maintenus en détention.

Ayant reçu les écritures de l’accusation, ayant entendu les arguments des parties et participants, La Chambre, à la majorité, Madame le Juge Herrera Carbuccia ayant une opinion dissidente, décide ce qui suit :

  • Concernant la gravité des charges

 Certes les charges sont graves en tant que telles mais ceci n’est pas une circonstance extraordinaire qui justifierait la détention de personnes ayant été acquittées. En l’espèce, Messieurs Gbagbo et Blé Goudé ont été accusés de crimes contre l’humanité commis à la suite des élections présidentielles de 2010. Il convient de noter que la majorité a conclu qu’il n’y avait pas assez d’éléments de preuve pour conclure que des crimes contre l’humanité qui pouvaient être attribués aux accusés avaient été commis en Côte d’Ivoire. Les parties et participants n’ont fait allusion à aucun autre facteur qui pourrait indiquer que les charges en l’espèce étaient exceptionnellement graves au sens de l’article 81.

  • Concernant le risque d’évasion

La Chambre ne dispose d’aucune information sur l’endroit où Messieurs Gbagbo et Blé Goudé souhaitent aller. L’accusation a fait remarquer que le 4 février 2016, le Président actuel de la Côte d’Ivoire a déclaré publiquement qu’il n’enverrait plus de ressortissants ivoiriens à la CPI parce que le pays disposait d’un système judiciaire fonctionnel. La Chambre considère que cette déclaration doit être interprétée en ayant à l’esprit le principe de complémentarité. Donc cela ne pourrait s’appliquer qu’aux nouvelles affaires qui découleraient de la situation en Côte d’Ivoire. Il serait totalement contradictoire que la Côte d’Ivoire affirme d’un côté, qu’elle a un système judiciaire qui fonctionne et respecte l’Etat de droit mais que d’un autre côté que la Côte d’Ivoire refuse de respecter une demande de la CPI. La Chambre sait très bien ce qui se passe à propos de l’affaire engagée contre Madame Simone Gbagbo. Cela dit, étant donné que cette affaire judiciaire est devant une autre chambre de cette cour, nous nous abstiendrons de tout commentaire. Il convient d’évaluer le risque de fuite par rapport à chaque individu et aux circonstances.

Le fait qu’un Etat-parti ait ou n’ait pas satisfait à une demande de remise ne signifie pas nécessairement que les personnes en question ne comparaitront pas volontairement de leur propre gré si la Cour les enjoint de le faire. La Chambre remarque que Messieurs Gbagbo et Blé Goudé ont reconnu la compétence de la Cour et se sont engagés à revenir devant la Cour si besoin est. Ils ont, aujourd’hui, donné des assurances selon lesquelles ils respecteraient toutes ordonnances de la Cour. La Chambre ne dispose d’aucune information qui indiquerait que ces garanties n’ont pas été données en toute bonne foi. La Chambre a pris en compte l’argument présenté par l’accusation sur lequel Monsieur Blé Goudé s’était caché et disposait de documents d’identité faux lorsqu’il a été arrêté par les autorités du Ghana en mars 2013. Mais, la majorité considère que ces allégations sont vieilles de plus de 5 ans et que depuis, beaucoup de choses sont intervenues et de notre point de vue, il ne serait pas raisonnable de se baser sur ces éléments pour justifier le maintien en détention d’une personne qui a été acquittée. Ceci est un acquittement avant que la défense n’ait présenté ses témoins. Ce qui est exceptionnel, c’est que cela montre, selon la majorité, la faiblesse exceptionnelle de la preuve de l’accusation. Le fait que cette décision n’ait pas été rendue à l’unanimité ne rend pas en soi l’acquittement exceptionnel. Ce qui est plus important, le fait qu’un juge aurait préféré que le procès se poursuive en entendant la défense n’implique pas qu’il y ait une forte probabilité que la Chambre d’Appel infirme l’acquittement. Il n’est pas approprié que ce procès se poursuive.

  • Nous rejetons les arguments de la dissidence !

 Nous rejetons vigoureusement la suggestion faite au paragraphe 47 de l’opinion dissidente de la Juge Herrera dont la majorité avait le devoir d’examiner la pertinence, la valeur probante et le préjudice potentiel de chaque élément de preuve aux fins de cette décision. Ceci ne s’applique que dans le contexte de décision de recevabilité lorsque la Chambre prend une décision en application de l’article 74. Ce n’est pas pertinent aujourd’hui. Il est bien entendu possible que la Chambre d’Appel soit d’accord avec le juge Herrera en ce qui concerne la norme applicable pour les requêtes aux fins d’acquittement à ce stade de la procédure. Néanmoins, ceci relève de la pure spéculation et n’a pas un caractère exceptionnel à ce stade. Ceci ne saurait en aucun cas servir de base pour maintenir l’accusé en détention. La Chambre comprend les préoccupations des victimes, en même temps ceci n’influence pas la décision de la Chambre qui est limitée par les normes visées au Statut de Rome. La Chambre, à la majorité, considère que c’est à la Chambre d’Appel qu’incombe la responsabilité d’examiner des requêtes concernant la suspension en attendant qu’un appel potentiel soit présenté ; La Chambre, à la majorité, considère également que le temps qu’il faudra pour prendre les mesures nécessaires au plan logistique, organisationnel, diplomatique devrait donner au Procureur suffisamment de temps pour présenter la requête pertinente devant la Chambre d’Appel. Pour toutes ces raisons, la Chambre, à la majorité, avec l’opinion dissidente de la juge Herrera, rejette la requête présentée par la Procureure de maintenir Messieurs Gbagbo et Blé Goudé en détention et demande au greffe d’obtenir les assurances nécessaires auprès de Messieurs Gbagbo et Blé Goudé et de leurs conseils principaux respectifs pour garantir le retour de Messieurs Gbagbo et/ou Blé Goudé, si et au moment où leur présence au siège de la Cour serait requise comme nous l’avons dit ce matin. Je conclus en disant que les victimes, témoins de ce procès, ne doivent pas être objet d’interférence de la part de l’accusé. En effet, l’article 70 continue de s’appliquer. Ceci conclut cette décision orale et le procès en ce qui concerne notre Chambre. Je lève la séance.

Fait à la CPI, le 16 janvier 2019

Source: la Voie originale n°382 – Lundi 21 janvier 2019

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